Coup dur
Il arrive parfois que tu te prennes une grosse claque émotionnelle. Je m’en suis pris une récemment. C’est assez surprenant les coups durs avec Jésus qui est juste là à mes côtés. La tristesse est là, les pleurs sont là, mais déjà je n’essaye pas de les cacher. Ce n’est plus une honte internationale d’avoir une émotion. Tu sais que même le Dieu de l’univers pleure quand il est triste ?
Mais surtout, la tristesse n’est pas écrasante. Elle ne t’enlève pas tout espoir de te relever un jour. Elle t’envahit sans t’accabler. Elle passe juste en fait. Pas instantanément, pas forcément rapidement, mais elle passe. C’est une émotion, pas une fin, pas un absolu, pas un infini. Juste une émotion que tu éprouves pasque t’as un cœur. C’est plutôt bon signe en fait.
Le lendemain
Le lendemain, j’ai l’impression de ne pas avoir dormi. Entre l’émotion et le manque de sommeil, je suis complètement à plat. Éclatée.
Je réalise alors que j’ai 4h de cours d’informatique avec une classe qui demande énormément d’énergie. Oh no !
Les élèves ont de grosses difficultés, et il est plus facile de faire les andouilles (et de flinguer mon cours) que de se mettre à bosser. Avec eux, il me faut faire mon cours en m’assurant d’être très claire, reprendre l’un qui cherche son camarade, me rappeler de ce que je racontais, réaliser que l’autre veut maintenant se venger, mettre une heure de colle à un jeune, demander qui a son portable qui sonne, réaliser que j’ai complètement perdu le fil de ce que je racontais (mais en même temps les jeunes aussi), expliquer à un gamin que non, ce n’est pas le moment de mettre la photo d’une actrice porno en fond d’écran, regarder l’heure en se demandant si on va pouvoir faire quelque chose aujourd’hui…
C’est épuisant.
Veux pas y aller. Veux pas y aller. Veux pas y aller !
Je n’ai pas l’énergie pour ça aujourd’hui.
Le risque quand j’ai pas l’énergie, c’est que je ne les supporte pas, et je ne cherche pas à exercer la discipline juste pour mettre un cadre, mais pour les éclater, parce que je n’en peux plus. Et si je leur expliquais en début d’heure que je ne suis pas d’humeur aujourd’hui, et qu’ils n’ont qu’à se tenir un peu ? (comme si y’avait une chance que ça marche)
Je réalise que je cherche tous les moyens pour botter en touche. Mais un sentiment de "c’est mon taf" s’impose à moi. C’est à moi de gérer la discipline dans mon cours, et si je ne le fais pas, personne ne le fera.
C’est pas le moment de faire ta mijaurée Natalia !
Saperlotte, c’était plus simple quand je ne cherchais pas à écouter Jésus : je pouvais me précipiter bêtement dans toutes les stratégies de protection possibles, sans me poser de questions sur leurs conséquences.
Ok j’y vais
Je vais donc à mon cours, déterminée à gérer au mieux, non sans avoir demandé au Dieu de l’univers de m’aider dans cette périlleuse entreprise.
En salle info, je prends la moitié de la classe (ce qui est largement suffisant). Une collègue a l’autre moitié pour une autre matière, et puis quand on en a marre on échange (au bout de deux heures).
Premier groupe, deux premières heures. Je recadre certains jeunes sans me laisser marcher dessus. Je ne ressens pas la fatigue ni le raz le bol ultime qui a pu m’envahir par le passé. C’est tendu, il ne faut rien lâcher, mais ça va.
À la pause, je croise la collègue : pour elle aussi, c’est chaud. Ça m’énerve de la voir malmenée par l’ambiance de classe.
Second groupe. Les jeunes très en difficulté sont dans ce groupe. Ils se comportent vraiment n’importe comment. Je menace, je punis, je colle.
Mais ce n’est pas parce que j’en peux plus et j’ai besoin qu’ils arrêtent. Ce n’est pas pour les éclater, ce n’est pas pour me venger. Je suis droite dans mes bottes 👢 (bien que j’aie des baskets ce jour-là).
L’après cours
Après un cours comme ça, t’as la sensation pas très cool d’avoir servi à rien, vu que t’as pas vraiment pu faire ton cours, t’en as marre, t’as envie de rentrer chez toi, de te planquer sous une couette avec une tisane et un film Netflix, avec un petit mot "laissez-moi tranquille, ne me parlez plus jamais" sur la porte 😣.
Sauf que c’est pas fini : faut noter tous les écarts de comportements des élèves. Chez nous c’est les fiches élèves, chez d’autres c’est les fiches incidents, mais bref, il faut mettre à jour le casier judiciaire de chaque jeune.
Souvent, j’en ai tellement marre que je trouve des raisons de ne pas faire ça :
Nan, mais là, c’était pas si grave.
Je le noterais la prochaine fois (c’est ça ouais).
J’ai peur que ça les décourage si je suis trop dure avec eux (nan nan, c’est toi qui es découragée là Natalia)
C’est bon, ils m’ont déjà pété les doigts de pieds pendant 4h, je vais pas en plus passer 1h à rentrer des fiches élèves !
Faut que je prenne du pain et la boulangerie va fermer (là on est dans une mauvaise foi d’un niveau expert, il faut bien bien travailler sa mauvaise foi pour en arriver là)
Mais là non. Je vais voir le prof principal, je lui explique le comportement de la classe, puis je remplis les fiches élèves et j’envoie des mails aux parents concernés (ça aussi c’est tout un truc : parfois après t’as les parents pendant 2h au téléphone pasque "nan nan notre enfant est un petit ange et c’est pas possible qu’il se comporte comme ça en classe").
Première fois de ma vie que j’envoie autant de mails aux parents : je ne me défile pas, pour aucun élève. Bim !
Je donne même un coup de main à la collègue pour remplir ses fiches élèves. Alors ça ! C’est du jamais vu dans l’univers du courage de Natalia.
La semaine suivante, le prof principal me remercie d’avoir pris le temps d’informer les parents, et la collègue de lui avoir donnée du courage et de l’aide pour ses fiches élèves. Après ça, on se sent moins seuls dans nos galères de profs.
J’en ai déjà parlé, mais Dieu est en train de me restaurer en tant que prof et c’est hallucinant. Je fais des progrès tellement grands semaine après semaine (bien que galérant toujours) que je ne me reconnais plus.
Pour ce coup-ci : j’ai jamais aussi bien géré une classe reloue. Et ça, c’était quand j’étais complètement au bout de ma vie ! Cette journée fatigante, usante, décevante laisse finalement un goût de victoire.
On a pas juste un Dieu génial. On a un Dieu d’envoyage ultime de pâté à répétition (j’imagine une mitraillette à bénédictions, et ça tire en rafales : dadadadadadadada – et y’a toujours des munitions !).
Natalia, impératrice de ses bottes (et ce, sans botter en touche)
Merci à Aurélie et Papillon pour la relecture.
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Un problème qu'on a jamais avec la mitraillette à bénédictions :